Graziella 33

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XVI

« Si Graziella est dans l’île, me disais-je, elle sera venue d’abord là, par l’instinct naturel qui pousse l’oiseau vers son nid et l’enfant vers la maison de son père. Si elle n’y est plus, quelques traces me diront qu’elle y a passé. Ces traces me conduiront peut-être où elle est. Si je n’y trouve ni elle ni traces d’elle, tout est perdu : les portes de quelque sépulcre vivant se seront à jamais refermées sur sa jeunesse. »

Agité de ce doute terrible, je touchais au dernier degré. Je savais dans quelle fente de rocher la vieille mère, en partant, avait caché la clef de la maison. J’écartai le lierre et j’y plongeai la main. Mes doigts y cherchaient à tâtons la clef, tout crispés de peur d’y sentir le froid du fer qui ne m’eût plus laissé d’espérance…

La clef n’y était pas. Je poussai un cri étouffé de joie et j’entrai à pas muets dans la cour. La porte, les volets étaient fermés ; une légère lueur qui s’échappait par les fentes de la fenêtre et qui flottait sur les feuilles du figuier trahissait une lampe allumée dans la demeure. Qui eût pu trouver la clef, ouvrir la porte, allumer la lampe, si ce n’était l’enfant de la maison ? Je ne doutai pas que Graziella ne fût à deux pas de moi, et je tombai à genoux sur la dernière marche de l’escalier pour remercier l’ange qui m’avait guidé jusqu’à elle.

XVII

Aucun bruit ne sortait de la maison. Je collai mon oreille au seuil, je crus entendre le faible bruit d’une respiration et comme des sanglots au fond de la seconde chambre. Je fis trembler légèrement la porte comme si elle eût été seulement ébranlée sur ses gonds par le vent, afin d’appeler peu à peu l’attention de Graziella et pour que le son soudain et inattendu d’une voix humaine ne la tuât pas en l’appelant. La respiration s’arrêta. J’appelai alors Graziella, à demi-voix et avec l’accent le plus calme et le plus tendre que je pus trouver dans mon cœur. Un faible cri me répondit du fond de la maison.

J’appelai de nouveau en la conjurant d’ouvrir à son ami, à son frère qui venait seul, la nuit, à travers la tempête et guidé par son bon ange, la chercher la découvrir, l’arracher à son désespoir lui apporter le pardon de sa famille, le sien, et la ramener à son devoir à son bonheur à sa pauvre grand-mère, à ses chers petits enfants !

« Dieu ! c’est lui ! c’est mon nom ! c’est sa voix ! » s’écria-t-elle sourdement.

Je l’appelai plus tendrement Graziellina, de ce nom de caresse que je lui donnais quelquefois quand nous badinions ensemble.

« Oh ! c’est bien lui, dit-elle. Je ne me trompe pas, mon Dieu ! c’est lui ! »

Je l’entendis se soulever sur les feuilles sèches qui bruissaient à chacun de ses mouvements, faire un pas pour venir m’ouvrir puis retomber de faiblesse ou d’émotion sans pouvoir aller plus avant.

XVIII

Je n’hésitai plus ; je donnai un coup d’épaule de toutes les forces de mon impatience et de mon inquiétude à la vieille porte, la serrure céda et se détacha sous l’effort, et je me précipitai dans la maison.

La petite lampe rallumée devant la Madone par Graziella l’éclairait d’une faible lueur. Je courus au fond de la seconde chambre où j’avais entendu sa voix et sa chute, et où je la croyais évanouie. Elle ne l’était pas. Seulement sa faiblesse avait trahi son effort ; elle était retombée sur le tas de bruyère sèche qui lui servait de lit, et joignait ses mains en me regardant. Ses yeux animés par la fièvre, ouverts par l’étonnement et alanguis par l’amour brillaient fixes comme deux étoiles dont les lueurs tombent du ciel, et qui semblent vous regarder.

Sa tête, qu’elle cherchait à relever retombait de faiblesse sur les feuilles, renversée en arrière et comme si le cou était brisé. Elle était pâle comme l’agonie, excepté sur les pommettes des joues teintes de quelques vives roses. Sa belle peau était marbrée de taches de larmes et de la poussière qui s’y était attachée. Son vêtement noir se confondait avec la couleur brune des feuilles répandues à terre et sur lesquelles elle était couchée. Ses pieds nus, blancs comme le marbre, dépassaient de toute leur longueur le tas de fougères et reposaient sur la pierre. Des frissons couraient sur tous ses membres et faisaient claquer ses dents comme des castagnettes dans une main d’enfant. Le mouchoir rouge qui enveloppait ordinairement les longues tresses noires de ses beaux cheveux était détaché et étendu comme un demi-voile sur son front jusqu’au bord de ses yeux. On voyait qu’elle s’en était servie pour ensevelir son visage et ses larmes dans l’ombre comme dans l’immobilité anticipée d’un linceul, et qu’elle ne l’avait relevé qu’en entendant ma voix et en se plaçant sur son séant pour venir m’ouvrir.

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