Graziella 7

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IV

La première nuit fut délicieuse. La mer était calme comme un lac encaissé dans les montagnes de la Suisse. À mesure que nous nous éloignions du rivage, nous voyions les langues de feu des fenêtres du palais et des quais de Naples s’ensevelir sous la ligne sombre de l’horizon. Les phares seuls nous montraient la côte. Ils pâlissaient devant la légère colonne de feu qui s’élançait du cratère du Vésuve. Pendant que le pêcheur jetait et tirait le filet, et que l’enfant, à moitié endormi, laissait vaciller sa torche, nous donnions de temps en temps une faible impulsion à la barque, et nous écoutions avec ravissement les gouttes sonores de l’eau, qui ruisselait de nos rames, tomber harmonieusement dans la mer comme des perles dans un bassin d’argent.

Nous avions doublé depuis longtemps la pointe du Pausilippe, traversé le golfe de Pouzzoles, celui de Baia, et franchi le canal du golfe de Gaëte, entre le cap Misène et l’île de Procida. Nous étions en pleine mer ; le sommeil nous gagnait. Nous nous couchâmes sous nos bancs, à côté de l’enfant.

Le pêcheur étendit sur nous la lourde voile pliée au fond de la barque. Nous nous endormîmes ainsi entre deux lames, bercés par le balancement insensible d’une mer qui faisait à peine incliner le mât. Quand nous nous réveillâmes, il était grand jour.

Un soleil étincelant moirait la mer de rubans de feu et se réverbérait sur les maisons blanches d’une côte inconnue. Une légère brise, qui venait de cette terre, faisait palpiter la voile sur nos têtes et nous poussait d’anse en anse et de rocher en rocher. C’était la côte dentelée et à pic de la charmante île d’Ischia, que je devais tant habiter et tant aimer plus tard. Elle m’apparaissait, pour la première fois, nageant dans la lumière, sortant de la mer se perdant dans le bleu du ciel, et éclose comme d’un rêve de poète pendant le léger sommeil d’une nuit d’été…

V

L’île d’Ischia, qui sépare le golfe de Gaëte du golfe de Naples, et qu’un étroit canal sépare elle-même de l’île de Procida, n’est qu’une seule montagne à pic dont la cime blanche et foudroyée plonge ses dents ébréchées dans le ciel. Ses flancs abrupts, creusés de vallons, de ravines, de lits de torrents, sont revêtus du haut en bas de châtaigniers d’un vert sombre. Ses plateaux les plus rapprochés de la mer et inclinés sur les flots portent des chaumières, des villas rustiques et des villages à moitié cachés sous les treilles de vigne. Chacun de ces villages a sa marine, on appelle ainsi le petit port où flottent les barques des pêcheurs de l’île et où se balancent quelques mâts de navires à voile latine. Les vergues touchent aux arbres et aux vignes de la côte.

Il n’y a pas une de ces maisons suspendues aux pentes de la montagne, cachée au fond de ses ravins, pyramidant sur un de ses plateaux, projetée sur un de ses caps, adossée à son bois de châtaigniers, ombragée par son groupe de pins, entourée de ses arcades blanches et festonnée de ses treilles pendantes, qui ne fût en songe la demeure idéale d’un poète ou d’un amant.

Nos yeux ne se lassaient pas de ce spectacle. La côte abondait en poissons. Le pêcheur avait fait une bonne nuit. Nous abordâmes à une des petites anses de l’île pour puiser de l’eau à une source voisine et pour nous reposer sous les rochers. Au soleil baissant, nous revînmes à Naples, couchés sur nos bancs de rameurs. Une voile carrée, placée en travers d’un petit mât sur la proue, dont l’enfant tenait l’écoute, suffisait pour nous faire longer les falaises de Procida et du cap Misène, et pour faire écumer la surface de la mer sous notre esquif.

Le vieux pêcheur et l’enfant, aidés par nous, tirèrent leur barque sur le sable et emportèrent les paniers de poissons dans la cave de la petite maison qu’ils habitaient sous les rochers de la Margellina.

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