persuadé d'avoir tout perdu

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Il faut que je vous fasse un aveu : longtemps je ne vous ai pas aimée. Longtemps je n’ai pas aimé vos sœurs. Un ciel délivré des ombres, c’était l’horreur pour moi. Je n’appréciais que les temps gris, et cela en raison de la mélancolie en moi, de l’insecte de mélancolie qui cheminait en moi comme dans une souche creuse, vermoulue. C’est une maladie qui affecte l’esprit d’autant plus sûrement qu’il craint alors de s’en défaire : le mélancolique est celui qui est persuadé d'avoir tout perdu - sauf sa mélancolie à laquelle il tient farouchement. C’est la maladie de celui qui, dépité de n'être pas tout, choisit, par un revers enfantin de l'orgueil, de n'être rien, ne gardant du monde que ce qui lui ressemble : le morne et le pluvieux. Cette maladie m’est passée, madame. Je ne sais trop comment, mais elle m’est passée. Aujourd’hui je sais vous aimer, et si je goûte toujours les ciels gris, c’est d’une manière plus calme : je les aime parce qu’ils sont, non parce qu’ils confirmeraient une catastrophe éprouvée au-dedans de mon esprit.

L'inespérée
Christian Bobin

diego-barrera1Diego Barrera

 

Agnès Obel