Publicité

L'Alexandrie de Lawrence Durrell, encore et toujours

Modernité et style à l'hôtel Four Seasons d'Alexandrie, dont les 118 chambres donnent sur la mer Méditerranée. Cette piscine la surplombe. (Franck Prignet/Le Figaro Magazine)

Vingt ans après la mort de l'écrivain Lawrence Durrell, retour à Alexandrie. La cité, matrice de son «Quatuor», en est l'un des personnages principaux. Le temps a passé sur la ville mythique, mais l'atmosphère et le charme demeurent.

Lawrence Durrell a disparu il y a vingt ans, le 7 novembre 1990. L'écrivain britannique avait trouvé dans le village de Sommières, dans le Gard, le dernier asile d'une vie de bohème. Né en Inde, Durrell avait fui la grisaille britannique pour des pays ensoleillés. Cette errance le conduisit à Alexandrie, où il vécut les dernières années de la Seconde Guerre mondiale.

La ville brillait alors de son dernier éclat. Enrichie par le commerce du coton, elle était devenue l'un des principaux ports de cette partie de la Méditerranée. Espions, diplomates et armateurs grecs se croisaient dans les salons du Cecil Hotel ou dans le restaurant Trianon. Durrell aima autant qu'il détesta la cité portuaire. «C'est une mort, une mort de tout l'être chaque fois que l'on prononce le mot Alexandrie, Alexandrie», écrit-il dans le premier tome du Quatuor.


Le temps a passé depuis Durrell et elle n'est plus la grande cité cosmopolite qu'elle était alors. Malgré son histoire, Alexandrie ressemble - au premier regard - à l'une de ces villes sans âme qui naissent un peu partout dans le désert, en Egypte. Sa population est surtout composée d'Egyptiens du delta, qui ne connaissent pas Durrell et se moquent bien de Forster ou de Cavafy, deux autres écrivains sous le charme d'Alexandrie... «On ne prend naturellement pas la route d'Alexandrie si on ne s'intéresse pas un tant soit peu à ce qui a été, qui a disparu et qui pourtant demeure», écrit Daniel Rondeau dans un livre consacré à la ville. Il faut donc, afin d'apprécier ses charmes, préparer son regard pour elle, gratter un peu la couche de poussière qui recouvre les façades solennelles du centre-ville. Alexandrie n'est pas un musée, mais elle réserve au visiteur curieux bien des surprises et des instants de grâce.

Le Cecil Hotel, dans lequel séjourna Lawrence Durrell, a été construit en 1929. C'est un grand bâtiment de style Art déco situé dans le centre de la vieille ville, à l'angle de la place Saad Zaghloul et de la corniche, la promenade du bord de mer à Alexandrie. Derrière la porte à tambour en vieux bois et cuivre poli se trouve le hall d'entrée : colonnades ornées de silhouettes de danseuses, sol de marbre blanc et noir, groom nubien et bouquets d'oiseaux de paradis. Au fond du lobby, le ballet huilé des anciens ascenseurs. A droite, dans la salle qui sert de restaurant, un immense miroir occupe tout un pan de mur. Le lecteur du Quatuor y verra «la grande glace du Cecil, devant la porte ouverte du dancing», par laquelle le narrateur rencontre la sombre Justine un soir de bal.


«Paysage: du brun au bronze, (...) sol de perle aux ombres nacrées et aux reflets mauves.» Ici, l'oasis de Siwa. (Franck Prignet/Le Figaro Magazine)

Rien de mieux, pour découvrir la ville, que d'empocher un tome du Quatuor et de baguenauder dans les rues au cordeau qui encadrent l'immense baie. Le promeneur constatera alors que, malgré les années, Alexandrie n'a pas vraiment changé. Comme Durrell jadis, il pourra admirer «le piétinement des silhouettes blanches aux abords de la gare. Les magasins qui se remplissent et se vident comme des poumons dans la rue des S?urs. Les pâles rayons du soleil d'après-midi qui s'allongent et éclaboussent les longues courbes de l'Esplanade, et les pigeons, ivres de lumière, qui se pressent sur les minarets.»

Sur la droite en sortant du Cecil Hotel se trouve la rue Nebi-Daniel. Elle a le même âge que la ville: 2341 ans. En la remontant, on croise les échoppes des bouquinistes, celles des marchands de parfums ou des vendeurs de jus de fruits. Constantin Cavafy vécut les vingt-cinq dernières années de sa vie dans la petite rue qui la longe sur quelques mètres et qui porte désormais son nom. Deux textes du poète grec concluent Justine, le premier tome du Quatuor. Dans les années 20, à l'époque où y vivait Cavafy, elle s'appelait la rue Lepsius et ses établissements étaient bien connus des messieurs. La ruelle est aujourd'hui paisible. On y entend des rires d'enfants et le pépiement des moineaux dans les ficus. Dans une impasse attenante, un café populaire sert du thé et de l'hibiscus brûlant aux habitués qui s'invectivent en rigolant d'un trottoir à l'autre. L'appartement du poète est situé au deuxième étage du numéro 4. Pour éviter de déranger le gardien dans son sommeil, on visite sans bruit ces pièces où dorment les meubles et les ouvrages de Cavafy. La villa dans laquelle vécut Lawrence Durrell n'a pas eu droit à ce traitement spécial. On la trouve un peu plus loin, au 19 rue Maamoun, de l'autre côté de la gare. Délabrée, elle sert aujourd'hui de dépôt au vendeur de fruits et de légumes qui a installé son échoppe devant le portail. Moyennant un petit billet, il laisse entrer sans trop ronchonner les visiteurs dans la cour pour mieux y faire courir leur imagination, en regardant les murs lézardés.


Le café Trianon donne sur la place Saad Zaghloul. (Franck Prignet/Le Figaro Magazine)

Retour dans le centre-ville, non loin de la rue Cavafy, derrière les rideaux bleu et blanc du café Elite. Ici, des Alexandrins francophones se retrouvent pour boire de la Stella, la bière locale, et bavarder dans un français charmant, plein de «r» sonores et de locutions surannées. Le café Elite est situé dans le quartier des cinémas: Métro, Amir, Rialto. Le décor de ce dernier n'a pas évolué depuis son ouverture. Elle remonte à une date si lointaine que Medhet Ibrahim, le vice-président du cinéma, est bien en peine de la citer. Dans l'immense salle, des hommes en galabeya immaculée fument des cigarettes Cléopatra et mangent des graines de tournesol en regardant une bruyante comédie sortie des studios du Caire.

Après quelques journées passées à Alexandrie, il est bon de quitter la ville afin de trouver la paix du désert, suivant en cela l'exemple de Justine et de Nessim. Dans le roman, le riche mari de la jeune femme crée pour elle en plein désert «une oasis en miniature -où elle pourrait loger ses trois chevaux arabes et passer le plus chaud de l'été à se baigner et à courir le désert». A quelques heures de voiture d'Alexandrie, au bout d'une route rectiligne, se trouve l'oasis de Siwa. Cette mer de palmiers perdue au c?ur du désert est le lieu idéal pour se débarrasser des fatigues de la ville. Mohamed Fawzy vit en bordure de l'oasis. Ce jeune artiste alexandrin a décidé de s'y installer malgré la perplexité des habitants. «J'essaye d'initier les enfants à l'art, c'est un travail difficile car les gens d'ici n'y voient aucun intérêt», explique-t-il en souriant doucement. La solitude de cet artiste résonne comme un écho à celle dont s'enveloppait Lawrence Durrell à l'époque où il habitait Alexandrie: «Je m'assieds dans ma tour et écoute les idées qui se déplacent à l'intérieur», écrivait-il alors.

Sujet

L'Alexandrie de Lawrence Durrell, encore et toujours

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
1 commentaire
  • Bob DALBAN

    le

    Bel article mais qui donne une image bien idyllique d'Alexandrie. La ville est aussi envahie par les poubelles qui jonchent la plupart des trottoirs, par les automobiles qui créent un vacarme infernal 20 heures sur 24... Bref, une cité devenue particulièrement difficile à vivre.

À lire aussi

Au Costa Rica, une collection de villas expérimentales

Au Costa Rica, une collection de villas expérimentales

RADIOGRAPHIE - Au cœur d'une jungle léchée par l'océan Pacifique, un singulier complexe de villas hôtelières dessinées par trois architectes réinvente l'hospitalité tropicale. Zoom sur l'Art Villa, la perle de ce resort.

Les 5 plus beaux villages d’Ardèche à visiter

Les 5 plus beaux villages d’Ardèche à visiter

Entre Massif central et Vallée du Rhône, l’Ardèche rayonne au printemps. Reliefs, nature omniprésente, patrimoine historique... Voici notre sélection de cinq de ses plus beaux villages pour s’évader, du long de la vallée du Doux aux abords de la rivière La Beaume.