Graziella 32

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XIV

Le billet tomba de mes mains. En voulant le ramasser, je vis à terre, sous ma porte, une fleur de grenade que j’avais admirée le dernier dimanche dans les cheveux de la jeune fille et la petite médaille de dévotion qu’elle portait toujours dans son sein et qu’elle avait attachée quelques mois avant à mon rideau pendant ma maladie. Je ne doutai plus que ma porte ne se fût en effet ouverte et refermée pendant la nuit ; que les paroles et les sanglots étouffés que j’avais cru entendre et que j’avais pris pour les plaintes du vent ne fussent les adieux et les sanglots de la pauvre enfant. Une place sèche sur le seuil extérieur de l’entrée de ma chambre, au milieu des traces de pluie qui tachaient tout le reste de la terrasse, attestait que la jeune fille s’était assise là pendant l’orage, qu’elle avait passé sa dernière heure à se plaindre et à pleurer couchée ou agenouillée sur cette pierre. Je ramassai la fleur de grenade et la médaille et je les cachai dans mon sein.

Les pauvres gens, au milieu de leur désespoir étaient touchés de me voir pleurer comme eux. Je fis ce que je pus pour les consoler. Il fut convenu que s’ils retrouvaient leur fille, on ne lui parlerait plus de Cecco. Cecco lui-même, que Beppo était allé chercher fut le premier à se sacrifier à la paix de la maison et au retour de sa cousine. Tout désespéré qu’il fût, on voyait qu’il était heureux de ce que son nom était prononcé avec tendresse dans le billet, et qu’il trouvait une sorte de consolation dans les adieux mêmes qui faisaient son désespoir.

« Elle a pensé à moi pourtant », disait-il, et il s’essuyait les yeux. Il fut à l’instant convenu entre nous que nous n’aurions pas un instant de repos avant d’avoir trouvé les traces de la fugitive.

Le père et Cecco sortirent à la hâte pour aller s’informer dans les innombrables monastères de femmes de la ville. Beppo et la grand-mère coururent chez toutes les jeunes amies de Graziella qu’ils soupçonnèrent d’avoir reçu quelques confidences de ses pensées et de sa fuite. Moi, étranger, je me chargeai de visiter les quais, les ports de Naples et les portes de la ville pour interroger les gardes, les capitaines de navire, les mariniers, et pour savoir si aucun d’eux n’avait vu une jeune Procitane sortir de la ville et s’embarquer le matin.

La matinée se passa dans de vaines recherches. Nous rentrâmes tous silencieux et mornes à la maison pour nous raconter mutuellement nos démarches et pour nous consulter de nouveau. Personne, excepté les enfants, n’eut la force de porter un morceau de pain à la bouche. Andréa et sa femme s’assirent découragés sur le seuil de la chambre de Graziella. Beppino et Cecco retournèrent errer sans espoir dans les rues et dans les églises, que l’on rouvre le soir à Naples pour les litanies et les bénédictions.

XV

Je sortis seul après eux et je pris tristement et au hasard la route qui mène à la grotte du Pausilippe. Je franchis la grotte ; j’allai jusqu’au bord de la mer qui baigne la petite île de Nisida.

Du bord de la mer mes yeux se portèrent sur Procida, qu’on voit blanchir de là comme une écaille de tortue sur le bleu des vagues. Ma pensée se reporta naturellement sur cette île et sur ces jours de fête que j’y avais passés avec Graziella. Une inspiration m’y guidait. Je me souvins que la jeune fille avait là une amie presque de son âge, fille d’un pauvre habitant des chaumières voisines ; que cette jeune fille portait un costume particulier qui n’était pas celui de ses compagnes. Un jour que je l’interrogeais sur les motifs de cette différence dans ses habits, elle m’avait répondu qu’elle était religieuse, bien qu’elle demeurât libre chez ses parents dans une espèce d’état intermédiaire entre le cloître et la vie de famille. Elle me fit voir l’église de son monastère. Il y en avait plusieurs dans l’île, ainsi qu’à Ischia et dans les villages de la campagne de Naples.

La pensée me vint que Graziella, voulant se vouer à Dieu, serait peut-être allée se confier à cette amie et lui demander de lui ouvrir les portes de son monastère. Je ne m’étais pas donné le temps de réfléchir et j’étais déjà marchant à grands pas sur la route de Pouzzoles, ville la plus rapprochée de Procida où l’on trouve des barques.

J’arrivai à Pouzzoles en moins d’une heure. Je courus au port ; je payai double deux rameurs pour les déterminer à me jeter à Procida malgré la mer forte et la nuit tombante. Ils mirent leur barque à flot. Je saisis une paire de rames avec eux. Nous doublâmes avec peine le cap Misène. Deux heures après j’abordais l’île et je gravissais tout seul, tout essoufflé et tout tremblant, au milieu des ténèbres et aux coups du vent d’hiver les degrés de la longue rampe qui conduisait à la cabane d’Andréa.

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